La chasse au Bayrou, une impasse politique

Publié le par Wildcat

La chasse au Bayrou, une impasse politique

C'est l'ennemi politique numéro un, à l'UMP comme au PS. Mais les stratégies politiques des uns et des autres pour le tuer se révèlent pour le moment inopérantes. Nickcarraway nous explique pourquoi selon lui.



Comment faire descendre Bayrou ? Enigme irrésolue pour l’UMP depuis le second tour de la présidentielle, casse-tête insoluble pour le PS. La majorité, en voulant isoler le troisième homme de la présidentielle, l’a renforcé. A un point tel qu’il n’y a qu’une alternative pour l’abattre : la mort ou la souillure. François Bayrou, c’est le mystère scientifique de la vie politique française. Comment un député et conseiller municipal, tout président de parti qu’il est, battu pour la deuxième fois à une élection présidentielle, dont l’électorat s’effrite à longueur de scrutin, lâché par les élus qu’il croyait être ses amis, et dont les ambitions présidentielles s’ébruitent à longueur d’articles et de lapsus, fait-il pour conserver intacte sa puissance audimétrique ? J’en connais à l’Elysée qui doivent ravaler chaque jour que Dieu fait leur haine renfrognée : malgré tous les coups de boutoir, le charançon béarnais est bien difficile à écrabouiller. Diantre.

Les ruses du gibier Bayrou


Pourtant, l’UMP n’y va pas de main morte depuis deux ans. A la manière des clubs de foot approchant dans les vestiaires les joueurs-clés de l’équipe adverse avant le match avec de juteux contrats sous le bras, Nicolas Sarkozy a pris le parti d’arracher à François Bayrou le bloc le moins solidaire de feue la vieille UDF. Sans doute est-ce là l’avantage d’être ami avec le grand patron d’LVMH : lorsqu’on parle maroquinerie gouvernementale, on est gage de sérieux. Et voici que, main par la main, la farandole d’anciens soutiens bayrouistes, dont tous ont voté en janvier 2006 au congrès de Lyon le principe de l’indépendance vis-à-vis de l’UMP, acte fondateur de la stratégie présidentielle du ni-ni (ou du et-et, c’est une question de point de vue), ont tourné talons et retourné veste pour s’en aller bras dessus, bras dessous, avec une majorité leur faisant les yeux doux : « Reviens à la maison, chérie, c’est pas grave, je te pardonne, et je t’offrirai même un cadeau ». Cela ne suffisant pas, l’UMP s’est mis en tête de poursuivre la destruction de la vieille grand-mère centriste : Jean Arthuis et Hervé de Charette faisant planer le spectre d’une renaissance de l’UDF, dont l’un possède apparemment le nom, Michel Mercier titillé par des envies gouvernementales ; tout est fait, ou presque, pour déshabiller Bayrou.
 
Du côté du PS, c’est un son de cloche différent. En quittant la majorité le baluchon orange sur l’épaule, le nomade Bayrou a entamé sa conquête de l'Ouest de l’échiquier politique. Les politologues lui disaient apparemment que l’herbe y était plus verte : les écolos Yann Wehrling, Jean-Luc Bennahmias et Corinne Lepage lui ont somme toute donné raison, qui tous trois ont choisi de rejoindre en marche le pèlerinage solitaire du Christ nu de la politique française. « Hors de mes terres, visage pâle », lui ont rétorqué dles socialistes peu enchantés par l’invasion centriste. Et ceux-ci, autocentrés comme une tribu indienne, de repousser Bayrou à leurs marges : c'est un homme de droite, vous dis-je, le monde doit le savoir.

Aujourd’hui encore, la récente sortie de son livre Abus de pouvoirs attise la rancœur de ses chasseurs : catapulté premier opposant de France, ils sont 44% à estimer envisageables un retour en grâce et une éclipse centriste du soleil socialiste. Plus de 80 000 exemplaires vendus en une quinzaine, selon sa maison d’édition. A côté, le feu de paille de Dominique Paillé reste sans effet. Caramba, encore raté ! Et maintenant, le poil à gratter de la gauche et de de la droite se met en tête de perturber la campagne européenne, maintenant le MoDem dans les sondages à un étiage plus que satisfaisant. Las : traqué, pourchassé par une meute d’aboyeurs, force est de constater que le gibier Bayrou parvient à « ruser », comme disent les veneurs pour qualifier un gibier qui parvient à s’échapper.

Mais comment diable celui qui vagabonde dépouillé, le front meurtri de ses échecs politiques, et ne drague avec lui qu’un chapelet de pauvres hères, derniers dans la hiérarchie des bankable people, mais à qui il promet d’être les premiers dans l’Au-delà démocratique, fait-il pour exister toujours dans les médias?

Seul mais soutenu par une immense foule silencieuse

A vouloir l’isoler pour l’affaiblir, la majorité n’a réussi qu’à le renforcer. Pour affaiblir le PS, il suffit de soutenir en sous-main les ambitions des seconds couteaux : le combat de coqs fait le reste. Mieux valent trop de chefs que pas assez, et voilà l’erreur de l’UMP. Seul à bord de la galère centriste, Bayrou en est le maître incontesté. Il marche à pas cadencé sans que personne au MoDem ne lui puisse contester le droit d’appuyer sur le champignon. La critique du pouvoir autoritaire, de l’ambition personnelle ? Si seulement les Français y étaient sensibles… à moins qu’ils soient en fait lucides et comprennent que ce n’est là qu’une métastase ? L’agrégé de grammaire aurait sans doute son idée sur les procédés rhétoriques utilisés par la majorité pour l’occire.
En outre, vouloir en démocratie réduire quelqu’un au silence est une entreprise avortée dans l’œuf. Si les médias plébiscitent Bayrou à due concurrence des cadres des autres partis, c’est aussi parce qu’en voulant réduire un homme au silence, la majorité menace un parti. Et les médias, tous à l’unisson derrière Plenel, prédicateur en chef d’une démocratie à sauvegarder par la plume et l’encre, de refuser ces petites morts de la démocratie. Quand Alain Minc pérore en disant que Bayrou est un nouveau Le Pen , il a raison sur un point : Bayrou devient le nouveau pestiféré, une figure qu’on voudrait repoussoir pour endiguer le tropisme centriste si courant chez les Français depuis qu’on les sollicite aux urnes. Du moins c’est ce que voudrait la majorité, et ce dont rêvent secrètement les socialistes. Et pourtant, Bayrou comme Le Pen n’ont jamais été aussi audibles que lorsqu’on a cherché à les museler.
Dans la posture de Bayrou, le petit qui résiste fièrement aux grosses machines, il y a quelque chose du petit village d’Astérix. Il y a plus de prestance à choisir le long et dur chemin de la solitude, le risque démocratique de tout perdre, qu’à accourir vers les gamelles clinquantes dès que la famine menace. La bravachitude de Bayrou a quelque chose de courageux et de gaulois, que les Français soutiennent : en estime pour le moment ; en voix s’il les convainc.

Ses adversaires doivent l'affronter de face

Est-ce à dire qu’il n’est jamais possible d’anéantir un adversaire en politique ? Nullement. Mais il faut jouer serré. Ne subsistent que deux voies possibles : attendre la mort de l’ennemi ou le faire tomber en disgrâce. De mort, il ne saurait être question maintenant, à moins d’un funeste coup du sort : au milieu de sa cinquantaine, François Bayrou est encore fringant, et la vie politique française suffit à nous convaincre qu’il existe sur Terre des hommes toujours dans leur adolescence au demi-siècle passé. Pensez, Serge Dassault commence à peine à être nommé senior. La disgrâce est une infortune si imprévisible et pourtant si délicieuse : un scandale est si vite arrivé, et peu sont ceux capables de s’en remettre. Encore faut-il choisir le bon. Chercher dans le passé ministériel de François Bayrou et ressortir la grande manifestation contre le rétablissement de la loi Falloux ? Technique éculée, d’autant plus que par décret Nicolas Sarkozy vient de la rétablir en principe. A-t-il des amitiés dans le monde de la finance, des tentations collusives ? Pour sûr, démontrer irréfragablement que celui qui refuse le règne de l’Argent comme modèle de société est en fait riche serait une enquête dont Bayrou se passerait bien : mais hormis une passion pour les chevaux, somme toute assez commune, point de folie. Y a-t-il donc quelque scandale à chercher chez cet homme-là ? Peu évidente est la réponse. Sauf qu’en France, les seuls scandales qui font recette sont ceux d’argent, jamais de chair. Difficile de trouver autre motif.

Si l’UMP et le PS veulent tant que cela affaiblir Bayrou, ce n’est pas en le bâillonnant qu’ils y parviendront. Tout tribun vit aux dépens de ceux qui l’écoutent : c’est en convainquant son auditoire qu’on fait taire le tribun, réduit à plastronner devant des rangs clairsemés. Sauf qu’en politique, il est toujours plus facile de mettre l’autre à l’amende que de s’amender soi-même. Tant que ni l’un, ni l’autre, ne sauront satisfaire l’oreille de ceux qui se sont distraits d’eux, il faudra toujours attendre que le charme du centre se fane ou se rompe.

Nick Carraway - Vendredi 22 Mai 2009 - Marianne

Publié dans Vie Politique

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